LA FENETRE D'ORPHEE (Orpheus no Mado)
Entretien de Riyoko Ikeda au sujet de la « Fenêtre d’Orphée » dans « Orpheus no Mado Daijiten"
Depuis mes débuts, j'ai eu l'envie de représenter la vie de jeunes élèves d'une école de musique. Mais le scénario ne pouvait pas se dérouler en France ou en Italie ou en Angleterre. La seule langue étrangère que je connaissais à l'époque était l'allemand ce qui m’a probablement influencée.
Souvent les gens sont surpris d'apprendre que même si j'ai dessiné "La Rose de Versailles", je ne connais rien au français. Ou plutôt, j'avais passé ma vie sans aucun lien avec les langues latines. Tous les documents en langues étrangères sur " La Rose de Versailles " je les ai lus en allemand.
Pour moi, la musique classique était synonyme de musique allemande. Par conséquent, plus tard lorsque j'ai commencé à apprendre des chansons comme passe-temps, je n'ai pas hésité à commencer avec des lieder allemands (de Schubert bien sûr). Ce n'est qu'à 45 ans que j'ai décidé de postuler auprès d’une Université de musique et que j'ai commencé à étudier les livrets et les arias d'opéra italiens pour les examens d'entrée. Passer des lieder allemands aux chants lyriques italiens, même si je ne dirais pas que c'était une complète découverte, était toutefois une grande décision et un grand pas pour moi.
En dessinant des jeunes étudiants dans une école de musique en Allemagne, j'ai pensé pouvoir sublimer mon désir d'étudier la musique classique dans une école de musique. J’avais ce désir de musique classique en moi depuis toute petite, et à travers le dessin, je n'ai pas pu abandonner mon désir. Pour moi, la musique a été une chose primordiale et cela me touche profondément. Bien sûr que j'aime chanter aussi. Même au milieu des funérailles de mon grand-père, je me suis mis à fredonner sans m'en rendre compte et ma mère m'a pincé fort les fesses. Mais en général, la musique classique dans ma vie a été liée au piano. C'est pourquoi, dans Orpheus no Mado, portrait évidemment de la jeunesse d'Isaak et de Julius, je montre comment ils apprennent à jouer du piano. Depuis mon enfance jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais vécu une vie sans piano. Le piano avec des touches lourdes qu'Isaak utilisait pour s'entraîner était de la marque Diapason, marque que j’utilisais pendant que je dessinais « Orpheus no Mado".
De plus, l'Adolf Lehmann sur lequel jouait Isaak dans une taverne est un piano ancien que je possède actuellement. Il y a des moments où je prenais des cours sérieux et des moments où je jouais à peine avec les touches, ou si je le faisais c'était juste pour accompagner mes propres fredonnements. Mais de toute façon, il y avait toujours un piano dans la pièce où je vivais.
C'est surprenant d'avoir déménagé plus d'une vingtaine de fois avec un compagnon si lourd. Il n'y a pas d'autre explication à part que j'étais jeune et énergique. Cependant, j'ai l'impression que même si je suis une amie aussi loyale dans ma vie, je n'ai jamais vraiment aimé le piano. Le piano, en termes de volume, de complexité structurelle et de richesse expressive, est l'instrument le plus remarquable et développé de l'ère moderne. Cependant, c'est aussi l'instrument qui exige le plus de force physique et mentale pour être maîtrisé de manière satisfaisante. J'ai l'impression qu'en même temps que je manquais du talent musical que le ciel accorde, je manquais grandement de la force physique et mentale nécessaire pour jouer du piano avec dextérité.
Cependant, j'ai pris en compte certains aspects. Par exemple, quand j'essayais de jouer des arpèges, qui sont l'un des fondements des cours de piano, je finissais presque toujours par me faire mal au poignet et au petit doigt. Je n'ai jamais eu la volonté d'affronter les différentes difficultés du piano et de m'asseoir et de le pratiquer sept heures par jour (seulement avant mon examen d'entrée à une université de musique je jouais environ huit heures par jour, plus c'était une préparation intense à court terme délai, un cas d'urgence extrême, pour ainsi dire). Malgré cela, je voulais exprimer mes sentiments inébranlables pour le piano d'une certaine façon.
Grâce à une rencontre avec la magnifique ville ancienne de Regensburg (Ratisbonne), l'idée d'« Orpheus no Mado » s’est imposée et développée en moi. Elle prenait soudainement vie comme une histoire vraie. Et la raison pour laquelle son intrigue de déroule au début du XXe siècle n'est pas étrangère à l'essor de la musique pour piano. Toutefois, c'était sans aucun doute la Révolution russe, le facteur le plus déterminant de cette histoire.
En regardant en arrière, on peut vraiment dire que le XXe siècle a été un siècle de changements précipités. Avec l'arrivée de la civilisation industrielle, l'humanité a commencé à assister à des changements dans sa vie quotidienne, comme jamais vu auparavant. Les moyens de transport, les médias, les méthodes de production et même la guerre, tout a été baptisé par la civilisation industrielle, obtenant une efficacité sans précédent. Dans un tel contexte, il est incroyable de savoir que les arts, y compris la musique, pourraient rester en dehors de cette influence.
On dit que la Première Guerre Mondiale était la dernière guerre à avoir eu une sorte de romantisme, si elle en a eu. Jusqu'à l'époque de la Première Guerre mondiale, dans le milieu de la musique, de la littérature et du monde académique, un fort retard du romantisme du temps passé flottait encore. La perception du temps qui passe est qu'il était lent, dans une mesure inimaginable aujourd'hui. Donc j'ai voulu traduire à ma façon ces derniers flashs, ces vestiges d'une époque ancienne avant l'avènement de la civilisation industrielle. Le bruit des chaussures sur les pavés usés, les murs de pierre des vieux bâtiments, le murmure des vêtements d'une époque où les robes des femmes frôlaient encore le sol, les roues des calèches qui traversent les rues... Pas les murs en béton armé, ni le bruit des chaussures de sport, ni le rugissement des moteurs de voitures...
Nous interprétons diverses pièces basées sur les partitions de Bach, Mozart et Beethoven écrites il y a des siècles. En y repensant, c'est vraiment bizarre. Il est vrai qu'en comparaison du début du siècle dernier, les temps d'exécution se sont progressivement accélérés, mais il est néanmoins incroyable que des musiciens qui sont nés et qui ont grandi dans des époques et des cultures complètement différentes puissent lire et jouer les mêmes partitions.
Et ce sont mes propres expériences qui m'ont poussé à continuer à dessiner "Orpheus no Mado" pendant sept ans. Il serait impossible d'éprouver de l'empathie pour l'être humain si ce n'est pas parce que je suis convaincue que dans sa nature, quelque chose de constant et d’invariable coule dans ses veines. Finalement, j'ai réalisé que je ressens vraiment un amour incommensurable pour l'humanité.
~Riyoko Ikeda~