La symbolique du mythe d’Orphée est bien évidemment l’Amour passionnel et fidèle (Orphée était très courtisé, ce qui lui vaut de mourir par la jalousie des Bacchantes méprisées) qui ne peut être possible et éternel que dans la mort. C’est tout une métaphore filée au cours des milliers de pages du manga « La Fenêtre d’Orphée » qui vit et ne s’essouffle jamais, vivant sous différentes formes, personnages et situations.
C’est aussi le symbole de la poésie et du chant, Orphée étant le plus grand aède (poète, conteur et chanteur) après Apollon, son père. Cela correspond bien à Riyoko et son attrait pour la musique. D’ailleurs, le mythe d’Orphée va donner lieu à de nombreux opéras. C’est celui de l’Anneau des Nibelungen qu’elle choisi en parallèle du mythe d’Orphée pour appuyer l’amour impossible du vivant par les figures de Siegfried et de Kriemhild (mythologie nordique et grand opéra de Wagner).
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Couplé le mythe d’Orphée à celui d’une école très catholique est futé, osée et finalement bien trouvé. En effet, Orphée est aussi le lien entre la magie, la religion (il apporte la civilisation par ce biais dans la mythologie) et la musique qui anime les âmes au-delà de leur volonté, comme une incantation. Son chant amène tout être animé à agir indépendamment de sa volonté et surtout, il est le vecteur de puissantes émotions qui transportent n’importe qui, de la bête sauvage au puissant dieu des Enfers.
Comme Isaac, sa musique va transporter un instant Klaus de sa lointaine Russie et des combats révolutionnaires aux doux souvenirs de sa jeunesse à Ratisbonne (L’Empereur de Bethoveen – Concerto n°5). Isaac va aussi permettre à Julius de retrouver une partie de sa mémoire, de la réveiller de sa mort mentale symbolique aux souvenirs, à son histoire, à son passé qui fait sens à ses actes actuels et futurs.
Dans cette spirale de la malédiction de la Fenêtre d’Orphée, seul Isaac, comme Orphée, survit alors qu’il fut touché (malédiction annulée par celle de Klaus-Julius ?) et c’est celui qui fera vivre cette malédiction par sa parole musicale en rappelant le souvenir de Julius et de Klaus dans sa musique même après leur mort finalement. Il meurt de la pire des façons, comme Orphée déchiqueté, en perdant son art, sa parole musicale = en perdant la dextérité de ses doigts qui le condamne au silence et fait mourir ainsi le souvenir des amants et des amours en général.
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L’idée de « La Fenêtre » d’Orphée est aussi intéressante. Cette vieille tour à laquelle on monte (en symétrie inversée avec les Enfers où on y descend) et où, par un simple regard d’une fenêtre, tout une vie peut basculer peut être aussi le symbole du regard d’Orphée qui perdit à jamais son Eurydice en se retournant pour VOIR si elle était bien derrière lui (il n’avait pas le droit de se retourner). Le regard, cette petite lucarne anatomique qui peut faire basculer tout un destin, « le désir des yeux » dirait la Bible (que semble connaître Riyoko).
Il est à noter aussi qu’Orphée est le symbole d’une double sexualité : il aime son Eurydice (avec le cœur), mais il aime aussi les hommes ! sauf qu’on n’y retrouve pas l’implication émotionnelle. Il semblerait que ce soit une consolation, mais que son esprit resta toujours attaché à sa femme… Bref, Riyoko fait de nouveau référence à l’ambiguïté des sexes et genres… Cf. « Ce fut même lui qui apprit aux peuples de la Thrace à reporter leur amour sur des enfants mâles et à cueillir les premières fleurs de ce court printemps de la vie qui précède la jeunesse ».
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Extraits des "Métamorphoses d'Ovide" racontant l'histoire d'Oprhée en miroir avec le manga "La Fenêtre d'Orphée" :
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«Toi que je pleurerai toujours, dit-il, tu seras l'arbre du deuil et le symbole des regrets» - Orphée, après la perte d’Eurydice, en remontant des Enfers.
C’est bien des regrets que nous ressentons à la lecture de la Fenêtre d’Orphée : le regret de la perte de ces amours magnifiques, puissantes mais condamnées dès le premier regard par la Fenêtre maudite.
« l’infortunée ne saisit que l’air impalpable. En, mourant pour la seconde fois elle ne se plaint pas de son époux ; de quoi en effet se plaindrait-elle sinon d’être aimée ; elle lui adresse un adieu suprême, qui déjà ne peut qu’à peine parvenir jusqu’à ses oreilles et elle retombe à l’abîme d’où elle sortait ».
C’est ce qui se passe avec Julius : plusieurs fois effondrée mentalement (choc psychologique qui renvoie aux abîmes du néant mental – aphasie, amnésie…) ressuscite d’une certaine façon dès qu’il est question de Klaus que ce soit en parole (la musique d’Isaac…) ou la confrontation physique avec ce dernier. Plusieurs fois abandonnée et laissée sans ressources par Klaus, elle ne se plaint jamais (comme Eurydice), attendant de retrouver son amour avec une confiance inébranlable.
« Les membres d'Orphée sont dispersés en divers lieux. […] ô prodige ! tandis que le fleuve les entraîne, sa lyre fait entendre des plaintes, sa langue inanimée en murmure, et les échos du rivage y répondent. L'ombre descend dans la demeure des morts, et reconnaît ces lieux qu'elle a déjà visités : dans les champs réservés aux justes, elle cherche, elle trouve Eurydice, et la serre avec amour dans ses bras. Là, tantôt les deux ombres s'unissent dans leur marche ; tantôt Orphée suit son épouse, tantôt il la précède, et il peut regarder en arrière sans perdre son Eurydice ».
Traduction de Louis Puget, Th. Guiard, Chevriau et Fouquier (1876) / NB. : ce sont des histoires à tiroirs. Le mythe d’Orphée est à l’intérieur d’autres histoires qui se déroulent et se renroulent.
http://www.mediterranees.net/litterature/ovide/metamorphoses/livre10.html
http://www.mediterranees.net/litterature/ovide/metamorphoses/livre11.html