Le monde de Lady Oscar
Le monde de Lady Oscar

Riyoko IKEDA, en majesté !

 

L’auteure de La Rose de Versailles, saga romantique de 2 200 pages, était présente ce matin à Angoulême pour une Rencontre Internationale® avec le public du Festival, dans une salle bondée et enthousiaste. Sous la férule de Pascal Ory, historien, elle a répondu à de nombreuses questions sur son œuvre et sa vie. Verbatim.

 

Quand vous étiez adolescente, vous vous destiniez à la musique. Comment en êtes-vous venu au dessin ?

Mais je dessinais déjà des mangas avant, même quand je jouais de la musique !

 

A quel moment vous y mettez-vous sérieusement ?

 

J’avais 18 ans, et je faisais partie d’une mouvance, au Japon, qui critiquait les parents et la société. En même temps, j’étais toujours sous le toit de mes parents, ce n’était pas logique. Alors, j’ai décidé de partir. Il me fallait travailler pour vivre et le milieu du manga a bien voulu de moi.

 

 

Y avait-il beaucoup de femmes ?

Non, à mon époque, nous étions très peu. Les mangas existants pour les filles (shojo) étaient tous écrits par des hommes. J’ai grandi en les lisant, toutes  les mangakas de ma génération les ont lu. Il nous fallait donc construire une nouvelle manière de dessiner. Avec les femmes du groupe de l’An 24 de l’ère Showa (un groupe de femmes mangaka dont plusieurs sont nées en 1949), on a tenté de faire rentrer le manga dans la culture. Car il était rejeté par la société, vu comme un poison pour les enfants. Quand on avait fini d’en lire un, on le jetait. Nous, nous avons voulu faire de vraies œuvres, transmissibles de génération en génération.

 

Comment étaient vos relations, dans le groupe des femmes de l’an 24 ?

En fait, nous nous voyions très peu, on parlait surtout au téléphone. Quand on est mangaka, on a beaucoup, beaucoup de travail. Je ne voyais même pas les dessins animés tirés de mon travail, car je planchais déjà sur les feuilles suivantes…

 

Comment ont réagi les mangakas hommes à votre arrivée ?

Au Japon, toujours  à mon époque, une femme qui travaillait était mal vue. Les femmes travaillaient très peu, de toute façon. Il fallait s’occuper de son mari et de ses enfants. Alors évidemment, quand on arrive dans une entreprise, on est rejeté.

 

Votre œuvre est d’abord paru dans Margaret, un magazine pour jeunes adolescentes. Quelles contraintes cela vous a-t-il causé ?

Il fallait toujours que je me demande quel ton adopter. Mon manga prend ses racines dans l’Histoire. Une Histoire qui influe beaucoup sur les relations homme / femme par exemple. Marie-Antoinette et Louis XVI n’ont pas consommé leur union pendant sept ans, à cause de problèmes d’érection du Roi. C’est important, dans La Rose de Versailles, mais comment en parler à un public d’à peine 12 ou 13 ans ?

 

Et puis, Margaret, c’est un magasine commercial. Il y avait un système très sévère de votes : toutes les semaines, les lecteurs pouvaient noter les histoires, de 1 à 10. Si je descendais dans ce classement, alors mon histoire aurait disparu ! Je me disais donc constamment : que faire pour captiver les enfants, en 24 pages ? Quel moment fort ? C’est comme ça que le personnage d’Oscar est né.

 

 

Vous dites que vous vous êtes inspirée de Stefan Sweig, pour La Rose de Versailles

Oui, bien sûr. Car, auparavant, l’Histoire française, je ne la connaissais que de cette manière : Marie Antoinette a vécu au château de Versailles, elle aimait le luxe, elle a plongé les finances publiques dans le déficit, elle a été décapitée. Et c’est tout. Quand j’ai lu Stefan Zweig, j’ai été touchée par la dimension humaine de cette femme. A ce moment là, j’ai environ vingt ans, je me dis que je veux en faire une histoire, et je garde le titre dans un coin de ma tête. Dix ans plus tard, je commence la série sous la forme de manga.

 

Pourquoi ce focus sur Madame de Polignac ?

Dans la société aristocratique française du XVIIIe siècle, elle représente très bien la situation des nobles, obligés de courtiser le Roi et la Reine pour obtenir des faveurs. Je montre beaucoup le caractère injuste des privilèges. L’histoire de la Révolution, c’est celle des nobles qui veulent à tout prix retenir la roue du temps, pour que l’histoire n’avance pas.

 

Le choix du travestissement a-t-il été vu comme une provocation au Japon ?

Il y a deux perceptions : une européenne, une japonaise. Nous, quand nous parlons de Jeanne d’Arc, nous la voyons travestie. C’est une femme qui s’habille en homme pour pouvoir se battre. Mais en Europe, elle a été brûlée. Sans doute en partie à cause de son accoutrement. C’est dû à la morale et au christianisme. Au Japon, des troupes de théâtre masculines peuvent interpréter toute une palette de rôle, féminin ou masculin, de même du côté des troupes féminines. Il y a plus de liberté. J’ai aussi pensé à Cristina, la reine de Suède. Quand son père meurt, on lit dans son testament qu’il faut élever sa fille comme un garçon… Enfin, le personnage d’Oscar aurait pu, aurait du être un homme. Je voulais montrer un capitaine des troupes royales qui, le 14 juillet 1989, change de camp et défend le peuple. Mais je n’avais que 26 ans, j’avais vraiment du mal à m’imaginer la scène. Alors je me suis mis à dessiner une femme…

 

Après la Révolution française, vous vous êtes intéressée à Napoléon. L’un des plus grand phallocrate de l’histoire, celui qui dit que les femmes sont juste bonnes à faire le ménage et les enfants !

En tant qu’homme, il est pourtant fascinant. Pour dessiner Le Glorieux Napoléon, j’ai pu me rendre en France et en Europe, visiter les lieux des grandes batailles, me rendre compte de la rapidité de l’avancée des troupes. Chaque fois que je viens à Paris, je fais un pèlerinage à l’Hôtel des Invalides, là où son cercueil est préservé… Au Japon, l’ambassadeur de la France m’a remis la Légion d’Honneur, la médaille des militaires ! Il m’a dit : « C’est Napoléon qui vous répond. »

 

 

Source : http://www.bdangouleme.com/actualite/riyoko%20ikeda%20en%20majeste/254

Crédits photo : © FIBD, Jorge Fidel Alvarez / 9art+

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