Le monde de Lady Oscar
Le monde de Lady Oscar

AUrore

Toujours elle, ou plutôt Lui. Toujours les mêmes compliments, la même fierté, le même intérêt. Toujours « Oscar ».

 

Nous étions sept sœurs, « nous étions » car Hélène vient d’être portée en terre. C’est sur sa tombe que je parle, me parle ou peut-être lui parle. Quelle importance, je suis seule, je l’ai toujours été d’ailleurs, je n’ai plus besoin d’interlocuteur depuis longtemps. Tous les regards et attentions sont portés sur notre dernière sœur que nous considérons en fait comme notre frère à part entière. Comment lavons-nous si bien accepté ? Je ne sais.

 

C’est étrange, Oscar a une attitude si lointaine, ce visage si ferme et décidé et pourtant sans expression bienveillante ou malveillante, seulement une volonté bien marquée, mettant cette distance polie et de convenance entre tous les membres de la famille, excepté peut-être avec Père. Mère dit que nous ne devons pas l’importuner en posant sans cesse des questions où en jouant nos jeunes filles en fleur, que son avenir militaire n’est pas un sujet seyant pour des demoiselles bien éduquées. Elle nous dit même que nous lui devons le même respect qu’à Père qui a eut la bonté de nous doter et donc de réduire l’héritage de ce « frère ». Mais qu’aurait-il fait de six vieilles filles à charge ! Oh oui je sais, ce ne sont pas des propos à tenir, je m’en excuse. Aurais-je pu finir comme Mesdames qui font tant jaser à la Cour[1] !

 

La douleur de t’avoir perdue Hélène, m’égare. Mais tu as eu le droit à si peu de considération. Même Oscar ne s’est pas déplacé de Paris pour assister à ta dernière présence. Elle n’est même pas venue te rendre visite alors que tu luttais encore pour vivre. Pourquoi ?

 

Et Mère si stoïque, Père si froid. Seule Marron Glacée[2] pleurait, mais Marron Glacée n’est qu’une roturière attachée à notre maison par bonté de notre part. Ce sont nos domestiques qui ont pleuré sur toi, ma pauvre sœur ; et nous, tes sœurs.

 

Oh je sais bien qu’Oscar représente l’avenir de notre famille, et que nous l’affaiblissons par nos dots à rassembler ; qu’Oscar est si belle, et que nous, nous ne sommes que jolies ; qu’Oscar est né ce jour de Noël 1755, jour symbolique pour notre royauté, alors que nous sommes toutes nées dans les pleines chaleurs de l’été, rendant la grossesse et l’accouchement de notre Mère plus éprouvant ; oui, tout cela je le sais. Oscar, Oscar, Oscar, toujours Oscar !

 

Est-il donc parfait ? N’est-il pas toujours en compagnie de ce roturier, cet André, fréquentations que même Père tolère. Pourquoi ? Oscar connaît Paris, elle y a une place et un nom auprès de la reine. Pourquoi ne nous fait-elle pas venir auprès de lui ? N’avons-nous pas le droit, nous aussi, de connaitre le bonheur et les honneurs à la Cour ?  Peut-être pourrais-je même y faire un bon mariage !

 

Ah Hélène, j’ai menti : bien sûr que j’avais un interlocuteur, une oreille amie qui était toujours présente pour me raisonner, me conseiller ou me consoler : toi, et tu me laisses seule.

 

 

Et je suis si injuste avec notre frère. Il va sauver notre lignée et notre nom. Aurais-je pu porter ce poids ? Lever une arme, me battre, être peut-être sale, évoluer au sein d’hommes qui n’auraient aucun égard galant envers ce que je suis ? Oh non, cela est contre nature, Dieu m’en soit témoin. Je suis femme et le resterai.

 

Je suis la troisième sœur, et je n’ai pas encore trouvé d’époux. Mes deux aînées et ma cadette ont déjà fondé leur foyer, mais je ne veux pas d’un noble désargenté, d’un rustaud sans éducation ou sans bonnes manières, un ignorant qui ne m’élèverait pas en société. Ah oui, je suis sûre que Paris m’offrirait un beau et jeune gentilhomme qui reconnaitrait ma qualité, et l’apprécierait. Paris : n’est-ce pas la capitale de la galanterie, de la mode, de la science et des belles-lettres ? Certes, je suis peu instruite, mais n’a-t-on jamais demandé à une femme de tenir des discours cartésiens[3] ? Quant à la littérature ! N’ai-je pas lu la Nouvelle Héloïse[4] de Rousseau qu’Oscar a dû négligemment oublier sur le fauteuil du salon : j’aurais été bien aise d’accepter ce M. de Wolmar comme époux au lieu de mourir d’amour pour un Saint Prieux sans naissance ? Ou encore l’Astrée[5] où j’aurais quitté volontiers ces terres d’Arras pour les lumières de la Grande Ville.

 

Hélène, Hélène, je m’emporte, mon imagination me cause encore une peine immense. Père réussira bien à me marier à un noble désargenté quand toutes mes sœurs auront déjà consommé leur hymen. Oui, mon tour viendra…et je ne connaîtrai jamais Paris.

 

_______________

 

 

Oscar n’avait pu se déplacer pour l’enterrement d’Hélène étant assignée à la caserne des Gardes Royales. Son congé avait déjà été consommé et combien il avait été heureux et douloureux à la fois : la joie de revoir Fersen, le déshonneur d’avoir été reconnue comme la jeune fille du bal. Lorsqu’elle reviendra passer quelques jours sur les terres familiales après avoir démissionnée de son poste, Aurore ne sera plus là. Le Général de Jarjayes avait eu besoin d’argent pour assurer son maintien financier, et sa dot avait été sacrifiée.

 

Aurore était désormais vouée à Dieu et portait sa propre croix.

 

 


NOTES

 

[1] Les sœurs de Louis XV, dites Mesdames, sont les tantes de Louis XVI : Adélaïde, Victoire et Louise sont les plus connues. Elles sont vieilles filles et comploteuses sans pouvoir, représentant la vieille génération. Leur père leur donnait même des surnoms peu flatteurs (Chiffe, Loque…)

 

[2] J’ai choisi cette appellation du manga pour designer Grand-Mère afin de dissocier la façon don’t Oscar s’adressait à elle de celle de ses soeurs.

 

[3] Descartes, outré ses traités philosophiques était un grand mathematician qui tenait notamment une correspondance scientifique avec la Reine Elisabeth de Bohême, fille du roi Frédéric de Bohême.

 

[4] En fait, c’est Oscar qui a lu la Nouvelle Héloïse (dans le manga) et en fut ébranlée: c’était son histoire. Deux amants brisés par un amour impossible car l’une est noble et l’autre roturier. 

 

[5] L’Astrée d’Honorer d’Urfé : roman pastoral très populaire sous Louis XIV surtout dans le cercle des Précieuses, et qui le restera jusqu’à la fin de la Monarchie. Il met en scène les amours d’une bergère et d’un noble.

 

Ces deux livres, un peu caricaturaux, vont à l’encontre de la représentation mentale de l’amour que nourrit Aurore. Bien au contraire, ils raisonnent avec l’esprit d’Oscar.

 

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