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C’est un personnage déroutant. On s’y attache au début du roman par son côté mystérieux, ses réparties cinglantes, son air assuré et son jeu de cache-cache avec Julius. Il a un trait de caractère que non pas les autres personnages : il a de l’humour et il est très taquin que ce soit avec Julius (la Fenêtre d’Orphée, la pêche, la barque…) ou avec Isaac par exemple. Il n’aura pas se comportement avec Alraune qui représente son frère qu’il idolâtre. Il est aussi très tactile ! et c’est le seul.
Mais quand il abandonne Julius en repartant vers la Russie par Munich en train, on a un doute. On ressent toute la douleur de Julius qui a mis toute son âme à le revoir avant qu’il ne disparaisse et ce, alors qu’il lui a menti (il lui a promis de ne pas partir avant les premières neiges d’hiver). Pourtant, on croit encore en la rencontre de ces deux être passionnés : oui ils vont se retrouver, oui ils vont s’aimer, on le veut, presque on l’exige !
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Quand, soudainement, sous l’impulsion, il saute du train pour la retrouver, on assiste à un moment idyllique. Le reste suit avec les moments d’harmonie et d’échanges musicaux, les sentiments tout en pudeur, la nuit câline. Or, ce n’est pas par hasard que Riyoko plante cet évènement dans la maison des von Beringer. Famille victime de la machination des Alensmeier, c’est dans ces lieux que Julius va se perdre entièrement : son intimité avec Klaus et ce qui lui laisse supposer du bonheur enchaîne définitivement son corps et son cœur et, à partir de là, elle ne connaîtra plus le bonheur sauf quelques rares instants comme des éclairs (aussi rapides que fugaces). La malédiction de la Fenêtre d’Orphée est en marche, la vengeance divine pour l’assassinat de la famille von Beringer aussi.
Le Klaus de Ratisbonne devient l’Alexei Mikhailov de St Petersbourg, l’homme engagé, l’homme de valeurs et de conviction, luttant contre l’oppression du peuple alors même qu’il est un protégé de la Russie en tant qu’aristocrate (toutefois, sa mère est une femme du peuple. A la base, Klaus/Alexei est un enfant naturel et il va intégrer la maison MIKHAILOV à l'âge de sept ans, après la mort de sa mère et de son père, feu Monsieur MIKHAILOV qui, en dernière volonté avant de mourir, légitime ce fils). Klaus/Alexei va connaître les combats, il devra prendre des positions politiques, sera responsable indirectement de la mort d’Alraune qui poursuivait sa promesse de le protéger, il va se séparer de compagnons et même être déporté en Sibérie où il manque de devenir fou.
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Ses sentiments envers Julius et envers la Révolution russe est claire : il n’y a pas de place pour une femme dans son engagement. Klaus le sait, le verbalise intérieurement, se le répète en boucle pour ne pas flancher. Il est honnête avec lui-même, avec ses camarades, avec Alraune, avec… non pas avec Julius. Dès qu’il est en sa présence, il ne peut que fuir pour ne pas s’abandonner à ce qu’il ressent. Emporté par sa passion, ses pulsions et son cœur, il retrouve Julius, toujours soudainement et la quitte aussi brutalement. Elle en est à chaque fois un peu plus dévastée et s’accroche encore plus fort à l’illusion du bonheur connu quelques instants. On le hait !
Puis vient l’amour de Garina et de Zubovsky / d’Efrem et de Véra / de Mihail et d’Antonia, les hommes étant des révolutionnaires, les femmes des amoureuses. Ils ont tous un destin tragiques et 3 types d’amour vécus différemment. C’est ce qui va libérer Klaus. Désormais, il s’autorise à aimer Julius et le lui prouve par le mariage (symbolisé par le muguet).
On ne le hait plus, bien au contraire. On comprend ses doutes, on comprend son engagement exclusif, l’impératif d’être à la hauteur de l’image idéalisé d’un frère aimé par le peuple et idolâtré par les révolutionnaires (qui iront jusqu’à se sacrifier en Sibérie pour lui permettre de fuir en souvenir de Dimitri). Et pourtant… on est déçu. Son investissement auprès de Julius est limité, il est souvent absent et très peu démonstratif, on dirait un courant d’air. D’ailleurs, après leur mariage, les seuls instants avec Julius, en dehors de sa pneumonie, sont… au lit ! et encore, c’est souvent Julius qui quémande. Quel dommage ; cette belle histoire d’amour maudit que l’on suit depuis leurs 15 ans finit dans un banal quotidien et une pauvreté des échanges. Il ne nous reste que l’illusion du début.
Pourtant, Klaus connait l’implication des femmes. Il a le bel exemple d’Alraune (qu’il a, d’une certaine façon, abandonné) ou bien celui de Garina qui est morte pour la cause révolutionnaire, ou encore le sacrifice de la belle Anastasia pour le faire évader des prisons de Sibérie puis défendre la cause révolutionnaire (et finir tristement au Goulag). Mais pour lui, il semble que Julius reste à jamais l’étudiant de Ratisbonne.
Et qu’arrive-t-il à Julius ? Est-ce cela aimer ? Etre soumise, passer son temps à acheter à manger, à lire, à attendre, à avoir peur puis ensuite, chez la Grand-Mère, à être seule à vivre sa grossesse avec toutes les questions que cela engendre ?
Klaus meurt lors d’un guet-à-pend : Leonid Yusupov tente sa dernière carte pour faire revenir le Tsar au pouvoir, alors qu’il a abdiqué, et ce sert de Julius pour l’attirer. Klaus mourra de blessures par balles et son corps disparaîtra dans le fleuve Neva. Julius en perdra la raison.
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Si la malédiction de la Fenêtre d’Orphée a fonctionnée entre Klaus et Julius, pourquoi l’amour éperdu n’était-il pas au rendez-vous ?
Si Julius est éperdument amoureuse de Klaus, bravant consciemment et inconsciemment tous les dangers, se livrant à toutes les folies pour le retrouver, quittant son nom et ses racines pour vivre son amour, on ne sent pas Klaus vraiment investi entièrement même après s’être mariés.
Sous l’identité d’Alexei les va-et-vient entre son engagement pour la Russie et les instants d’illusion en serrant Julius créés à chaque fois l’espoir pour laisser place à l’abandon, la solitude, le mensonge, bref le manque ! J’aurais presque été à dire que c’est de la maltraitance affective… Quand finalement, il s’engage avec elle et qu’ils vivent ensemble, il est peu présent, peu démonstratif bien que taquin et aimant, et il ne partage en rien son engagement avec elle (comme il l’a fait avec Alraune ou comme Anastasia l’a fait pour lui pendant 7 ans en secret).
En tout cas, pour ce qui est de la malédiction de la Fenêtre d’Orphée, Klaus répond à la question de Julius la 1ère fois qu’il la voit :
- « Et qu’as-tu vu par la Fenêtre (d’Orphée) » - Julius
- « Si je regarde l’horizon, je peux voir le ciel de Russie » - Klaus
Et Klaus restera fidèle à la Russie, sera maltraité par elle jusqu’à en perdre la vie dans un piège.
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