Le monde de Lady Oscar
Le monde de Lady Oscar

Le mariage de rosalie

L’après-midi s’achevait dans l’éclatement de la liesse populaire : les plus mauvaises têtes de l’armée française venaient d’être libérées et sortaient de l’Abbaye le sourire en boomerang (effet de réciprocité sûrement).

 

Paradant, tous goguenards, plus fiers que deux heures auparavant où la potence aurait constituée leur dernière grimace, les voilà saluant leurs frères avec grandes démonstrations. La royauté courbait la tête et la noblesse serait la main des roturiers. Victoire archétype de l’avenir.

 

Cette liberté était l’œuvre du peuple, dont un certain Bernard Chatelet, harangueur hors pair des foules, tribun de la plèbe anachronique, ce même homme qu’Oscar se promit d’aller remercier le soir venu.

 

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Attablés autour d’une petite table de bois, sous les toits de Paris, la nuit est tombée, l’air est frais et l’humeur au beau fixe. Comme d’habitude, Rosalie ne peut s’empêcher de virevolter autour de tout et de tous, et s’affairer à la préparation de…de quoi, elle seule le sait. Enfin, normalement. Pendant ce temps, les minutes ne se perdent pas, et le Silence ne fait pas le cinquième ami.

 

« Mon cher Bernard, je bois à votre habileté et à votre efficacité » - dit Oscar, observant non sans intérêt son verre vin de Bourgogne[1], miraculé rescapé de quelques bouteilles parisiennes qui n’avaient pas gelées cet hiver là[2], avant de le lever pour trinquer.

 

« Oscar, bientôt mon habileté et mon efficacité seront mises à profit de réalisations bien plus déterminantes pour le Peuple » - commença Bernard, enflammé dès qu’il s’agit de Révolution.

 

« Ah ça, mais avez-vous finit Messieurs !? Pas de révolution je vous en prie, surtout aujourd’hui. Bien au contraire car, oh Oscar !, si vous saviez [et non, elle ne sait pas] bientôt vous lèverez de nouveau votre verre pour un grand bonheur ! » - coupa Rosalie, elle aussi enflammée mais on ne sait de quoi ni pourquoi.

 

« Réellement ? Un nouveau bonheur ? L’Autrichienne aurait-elle enfin réussi à se décider pour la robe rose à paillettes qui privera le peuple de pain ou celle jaune poussin qui le privera de vin ? » - ironisa André.

 

« Et toi André, que penses-tu faire parmi ces évènements qui se dessinent ? » - demanda abruptement Oscar qui connaissait pertinemment la position d’André depuis maintenant quelques années et dont elle se sentait, étrangement, de plus en plus impliquée.

 

« Te suivre » - répondit le plus simplement mais sincèrement André, paroles qu’on aurait pu deviner comme on devine à tous les coups la réplique de Shun quand la situation est désespérée[3].

 

Quittant le recoin de sa cuisine, mains sur les hanches, le regard décidé, Rosalie a bien l’intention de finir ce qu’elle avait à dire avant qu’elle ne se heurte au cynisme des deux hommes. D’une voix autoritaire et s’adressant à André particulièrement, elle affirma :

 

« Eh bien André, c’est à l’Eglise que tu suivras Oscar ! »

 

Silence [le voilà s’invitant]. André reste bouche bée, Oscar gênée. Tout n’était jusqu’ici qu’allusions, illusions, tout n’était que tabou.

 

Soudain, un éclat traverse rapidement l’espace-temps. Un verre de vin éclate en mille morceaux. Du sang – ou un reste de liquide – macule les mains d’André d’abord un peu perdu. Mais qu’importe.

 

 Voici notre grand gaillard, pourtant si retenu, fou de joie, qui se lève et prend les mains d’Oscar dans les siennes. Etrange union de deux mains blanches et délicates dans celles masculines et brunies, et désormais un peu carmines.

 

Bernard en reste pantois sur sa chaise pendant que sa chère et tendre Rosalie pleure appuyé sur le chambranle, dépitée ce soir de ne pouvoir se faire comprendre. Non décidément, il faut se faire une raison : qu’arrive-t-il à André ? Quelle est cette joie quasi démente pour une malheureuse phrase ? A-t-on idée de saisir ainsi les mains d’un autre homme ? [Et oui, si toi, Rosalie, tu sais qu’Oscar est une femme, nulle part dans sa vie Bernard n’aurait pu l’apprendre car pour une fois –n’est pas coutume – Rosalie a tenu sa langue selon sa promesse à Oscar]. 

 

Ah non, vraiment, il ne comprend pas, lui, Bernard, l’homme de pamphlets et de rhétorique, celui qui brasse et plie les masses populaires déchaînées qui l’acclament du haut de ces balustrades improvisées au coin d’une rue[4] ? Aurait-il manqué un numéro de Renondot[5] ?

 

Oscar, à la figure de Rosalie et à la réaction excessive d’André, sauve la face et rit. Elle rit à gorge déployée, se moque plutôt ou savoure tout simplement cet instant au nom de Quiproquo.

Son rire a pour effet de rompre les interrogations de l’un, les pleurs de l’autre et surtout, d’arrêter les empressements du troisième. Oscar rit, c’est rare et surtout inattendu.

 

« Allons donc Rosalie, mais que veux-tu dire » - s’exclama enfin Oscar. « J’avoue que tes paroles sont bien plus dignes d’une Pythie de Delphes que d’une jeune fille sage à Paris » ne put-elle s’empêcher d’ajouter.

 

Le rouge monta aux joues de la pauvre Rosalie, confuse mais soulagée de la tournure finale de la situation. Voir Oscar rire était une bien bonne issue à l’hébétude de tous.

 

« Et bien, en fait, voilà… Bernard et moi…Nous allons nous marier ! Et je voudrais qu’André et vous assistiez à notre mariage ! La cérémonie se déroulera dans la petite Chapelle de la rue des F. Oh, dites oui Oscar ! ».

 

Voilà donc la fin de l’histoire : oui, un mariage évident pour certains, une déception amer mais silencieuse pour un autre, et enfin la promesse de bonheur utopique pour une jeune femme à qui on ne demanda jamais d’avoir de rêves et encore moins de l’espoir (mais qui s’en joua ce soir-là et lui valut ainsi une soirée magnifique).

 

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Notes :

 

[1] R. IKEDA ne nous en dit rien sur le vin bu, donc je vous conseille ceux de Bourgogne dont l’excellent Chassagne-Montrachet.

[2] .Durant cet hiver, une vague de froid terrible s’abattit en France et notamment à Paris où même les caves gelaient et la Seine charriait des blocs de glace (année 1789)

[3] Cf. Les Chevaliers du Zodiaque : »Oh, Ikki, mon fère, je savais que tu viendrais ». C’est l’expression récurrente de Shun en mauvaise position pour introduire l’arrivée soudaine d’Ikki.

[4] Les parisiens étaient connus pour être des monteurs de barricades et de balustrades invétérés ce qui poussa plusieurs réformes urbaines pour détruire certaines masures et ruelles, voire des quartiers entiers.

[5] Renondot a lancé le journal au 17ème siècle. Un seul existait officiellement (soutenu et censuré par le Roi). Evidemment, les romans feuilletons n’existaient pas encore (19ème siècle) mais à Paris on attendait impatiemment le jour de parution du journal car il y avait des anecdotes suivies et cocasses.

 

 

 

 

 

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