C'est un manga très particulier par rapport à l'oeuvre de Riyoko car, ce n'est pas une histoire sentimentale avec l'ambiguïté des sexes, c'est un parcours de vie d'une personne homosexuelle. Le récit est fin, on sent le malaise chez Claudine, non pas par rapport à elle-même, mais par rapport au rejet puis au déni de sa mère, la complaisance passive de son père où l'on apprend que lui-même l'est mais ne lui donnera jamais la possibilité d'en parler, le rejet des femmes dont Cecilia, l'amour avec Selene qui est le point d'orgue du drame : elle lui préfère son frère, un homme / ce qui rappelle la douleur (folie) de Louis Lax lorsqu'il apprend que le père de Claudine, dont il était l'amant, lui a préféré Cécilia, sa soeur.
On est bien dans ces deux cas sur une même base frère/soeur, mais sur deux sexes différents. Et ce n'est pas innocent (c'est comme si une soeur sortait avec un homme qui finalement lui préfère l'autre soeur. C'est la même équivalence et la même trahison que veut nous faire passer Ryioko).
Le thème y est traité avec la vision des choses liée à un contexte historique : Claudine est emmené chez le psychiatre (puisque l'homosexualité a été longtemps considérée comme une maladie) plutôt ouvert d'esprit mais qui conclut qu'elle est "un homme incomplet" (ce qui, dans l'absolu, est plutôt sympathique bien que violent car on pouvait traiter l'homosexualité à coup de médicaments et d'électrochocs à cette époque). Claudine ne s'est jamais vu avec ces yeux là : elle est un homme et lui dénier cette identité est la dénier entièrement. Une bulle laisse entendre que son père est homosexuel aussi (avec Louis Lax, le frère de Cécilia) et donc que se serait héréditaire (la pensée de l'époque). D'ailleurs, à un moment, la "voix off" dit que lorsque Claudine lui exposa ses pensées passionnées concernant Cécilia, son père l'écouta le sourire aux lèvres et "cela induisit Claudine en erreur".
Une autre page avance une théorie psychanalytique à l'homosexualité qui m'a laissé sans voix (c'est le psychiatre qui parle) :
"Il n'y a qu'une seule chose que m'a caché Claudine, c'est le fait que son père, qu'elle admirait au point de vouloir devenir comme lui, avait trompé sa femme et sa fille en tombant amoureux d'un jeune homme. La même Claudine avait été témoin de cette trahison à l'âge de huit ans [l'âge où elle décida qu'elle était un homme]".
Cette seule phrase mérite toute une thèse sur le complexe d'Electre exposé très brièvement. Devient-on homosexuel suite à un choc psychologique, ici une trahison d'un parent envers un autre et d'un parent envers un enfant (ici = je n'aime pas les femmes mais que les hommes, donc tu es une fille, je ne peux pas t'aimer sauf si tu es un garçon = je deviens un garçon pour que tu m'aimes).
Mais le psychiatre (donc Riyoko) va donner la réponse tout à la fin : non, l'homosexualté ne naît pas d'un complexe d'Electre mal résolu. Claudine est un homme à part entière mais incomplet. Les hypothèses sont ouvertes sur ce que recouvre le mot "incomplet" mais pour ma part il désigne simplement le fait que Claudine n'a pas de phallus physique alors qu'elle possède effectivement le phallus sympbolique et ce, dans tous les aspects de sa vie. Le psychiatre (Riyoko) précise même que c'est une erreur de la nature, simplement.
Il y a une étrange résonnance. Avec quoi pour Riyoko? Mystère. En tout cas, la douleur de la trahison d'un parent envers un autre (adultère, divorce...) est récurrente chez Riyoko notamment dans Très Cher Frère et cela est vécu comme un poids pour les enfants qui se trainent l'histoire familiale comme une humiliation parfois, comme une douleur dans tous les cas. Ici, cette idée psychanalytique contrée par Riyoko sonne comme un argument pour expliquer... qu'il n'y a pas d'explication à l'homosexualité. Elle est de fait.
La seule qui la comprend, qui l'a considère comme un homme et qui l'aime est la blonde Rosemarie. Mais, allez savoir pourquoi, Claudine aime les brunes (surement parce que son premier amour, Maura, était brune) et n'a jamais vu Rosemarie autrement que comme une connaissance (je n'irai même pas jusqu'à amie). Rosemarie gardera cet amour vivant dans son coeur jusqu'à la fin de ses jours par un tour de passe-passe narratif mais qui souligne l'absurdité du destin : brûlée au visage suite à une vengeance qui ne la concernait pas (elle était là au mauvais endroit au mauvais moment), elle déclare qu'elle ne pourra plus jamais se marier (ce qui semble vrai). Elle retend la perche à Claudine qui s'enferme dans sa cécité et son amour pour Selene, symbole de sa blessure narcissique et de son déni de genre (un homme).
Cela finit tragiquement : Claudine met un ultimatum à Selene, la mettant en balance entre elle et son frère, comme sur un pied d'égalité. La conclusion semble qu'il n'y a pas d'égalité possible entre un homme complet et incomplet (termes du manga pour illustrer la violence du vécu), en tout cas pas à ce moment là.
Lire "Claudine" m'a surprise. Hétérosexuelle, je pensais retrouver une histoire d'ambiguité des sexes et j'ai ouvert de grands yeux dans les 20 premières pages. Braquée, car ne comprenant pas, je me mets à détester Claudine et un peu Riyoko (pour la première fois) en me demandant pourquoi cette femme mal dans sa peau qui se cherche dans son identité est en train d'imposer sa volonté sexuelle à Maura, toute nouvelle jeune femme de 12-13 ans (elle est maîtresse de maison et Maura une domestique affaiblie par la mort de son père et le devoir familial de nourrir financièrement sa famille). Je lis ça comme un abus sur personne vulnérable, autant dire que je me suis demandée si le livre n'allait pas finir dans la cheminée. Il est quand même resté quelques jours fermés jusqu'à ce que je me dise que j'avais dû louper un épisode.
En fait, Claudine a le même âge, c'est une ado. Elle tombe amoureuse et découvre aussi la sexualité. Je refais des liens avec mon adolescence et les vies de ceux qui défilent dans mon bureau : l'adolescence est une période violente. L'histoire colle.
La suite est magnifique, violente dans les sentiments et surtout, dans le regard d'autrui. Riyoko met en bascule la grande popularité dont jouit Claudine depuis son enfance et partout où elle passe, avec l'incompréhension et le rejet de son positionnement de genre. Prise dans cet amas de non-sens, elle décide de ne plus exister (suicide) et là encore, comme un homme dans la symbolique (pistolet) alors que les personnages qui se suicident dans l'oeuvre de Riyoko le fond de manière plutôt féminine selon la symbolique (médicaments pour Rei dans le manga ; sauter dans le vide pour Charlotte de Polignac ; sauf Diane de la Vigne/Soisson qui se pend dans le manga...).
Ce manga est, je pense, important pour toute personne hétérosexuelle et pour ceux qui sont en pleine déroute identitaire de genre face aux regard d'autrui, un beau parcours (sauf la fin, évidemment).
Traduction de Claudine ! en français.