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Si la douce Mme de Jarjayes est un personnage secondaire, toujours dévouée, obéissante, et parfois même victime (machination de Mme du Barry), il semble que les autres mères soient dotées de la même représentation par Riyoko Ikada dans son oeuvre.
En France aussi, elles ont eu une image (qui correspondait souvent à la réalité) de soumission dû notamment à notre culture judéo-chrétienne, l'apogée étant, je pense, le 19e siècle. Les japonais, quant à eux, bien loin de cette culture, n'en ont pas moins une image dure encore envers les femmes.
J'ai trouvé un article qui résume bien cette question et la position de Riyoko Ikeda dans "Histoire du manga" par Karyn Poupee : "Riyoko Ikeda, japonaise agacée par la préséance accordée aux hommes sur les femmes dans la société nippone, vit en Marie-Antoinette un modèle d'insubordination qui rejoignait son penchant féministe, précisément au moment où montaient les mouvements pour les droits des femmes. 'C'était l'époque où les épouses étaient vouées à servir à manger aux maris, où les hommes se demandaient s'il était vraiment souhaitable que les femmes aillent travailler à l'extérieur' souligne l'artiste militante Ikeda".
Matthieu PINON, journaliste manga et fondateur de la revue OTAKU, rappelle aussi que cette vision de la femme est toujours d'actualité au Japon (Twitch ADN sur Lady Oscar de décembre 2022
Il en va de même pour la mère de Jeanne et Rosalie (même si finalement ce n'est pas sa mère) : femme de chambre de la famille Valois, elle entretient bon gré mal gré une relation avec le père Valois et donne naissance à ces deux jeunes filles qui seront toutes leurs vie des batardes (une seule en fait : Jeanne). Délaissées, elles n'auront jamais une éducation même de base et sombreront dans la pauvreté. Leur mère fut soumise puis victime.
Dans "Très cher frère", la mère de Mariko (en haut à droite) est représentée en habit traditionnel (femme et mère appartenant à la tradition ancienne), impuissante à gérer la douleur de sa fille et s'en remettant toujours à un tiers.
Il est bon de connaitre l'histoire de cette femme : marié à un auteur de livres pornographiques, la réputation de la famille a grandement été entachée. Le couple se sépare mais la réputation reste, Mariko prenant alors fait et cause pour sa mère et rejetant son père (sa mère renforçant par son attitude et ses paroles la prise de position de Mariko). Plus tard, Mariko s'expliquera avec son père et comprendra mieux ce qui s'est réellement joué.
L'image renvoyée par la mère de Nanako est encore plus parlante :
Cela fait peu rêver...
Mme de Polignac est l'anti-thèse de la mère puisqu'elle n'a pas élevé Rosalie (confiée à sa naissance à une nourrice car issue d'une liaison adultérine) et sa relation avec Charlotte de Polignac est biaisée. Mme de Polignac est une femme phallique, ambitieuse et la famille sert essentiellement à ses intérêts (elle mandate son frère pour tuer Oscar par exemple, elle veut marier Charlotte pour renforcer sa propre position et sa fortune puis, une fois Charlotte disparue, elle cherche à récupérer Rosalie pour remplacer ses dessins projetés sur Charlotte).
Je ne pense pas que Riyoko l'ait pensé dans un rôle de mère. Elle n'est donc pas un modèle de mère en tant que tel, mais une femme de pouvoir.
Dans la Fenêtre d’Orphée, toutes les mères d’Allemagne ou de Russie sont soit absentes (celle d’Alraune par exemple) ou emprisonnées dans leur rôle de femme de la Haute Société, souvent abandonnée symboliquement par leur mari, trompées, pas toujours sympathiques, préoccupées par les bonnes manières et la bienséance et surtout : réussir à bien marier leur fille ! Comme dans Lady Oscar, le choix de l’époux est laissé aux intrigues et intérêts des familles, non au cœur et ses raisons (ce qui n’empêche pas les jeunes femmes d’aimer passionnément en secret et avec beaucoup de douleur). D’ailleurs, une jeune fille russe (Véra) dira au prétendant de sa meilleure amie (Anastasia) que si pour eux le mariage est une futilité et un acte parmi tant d’autre, pour une femme c’est « une chose sérieuse » (sic).
Renate, la mère de Julius est, quant à elle, intéressante car Riyoko la pare des mêmes attributs que Mme de Jarjayes : «personnage secondaire, toujours dévouée, obéissante, et parfois même victime (machination du Dr Jahn) ». Sa seule initiative, mais oh combien décisive, fut de cacher le sexe féminin de Julius à sa naissance et de le faire passer pour un homme avec les mêmes raisons que pour Oscar : l’honneur et la pérennité familiale (et aussi l’héritage dans la Fenêtre d’Orphée).
En revanche, elle est la seule femme-mère à avoir pu être dotée d’une sexualité, sans passage à l’acte évidemment ce qui est inconcevable chez Riyoko (au niveau des mères et de la représentation de la fonction maternelle – la supposée non sexualité de nos parents, tout un poème). Non seulement, Renate :
aime, en secret évidemment, mais elle conserve sur elle le précieux pendentif de Saint Georges, symbole de son amour impossible avec le Professeur Wirlkich ;
a eu une des aventures entachant sa pureté de jeunez fille (double relations amoureuses et sexuelles avec le Professeur Wirlkich et Alfred von Alensmeier);
retrouve son amour de jeunesse et succombe aux flots d’émotion et de passion avec le Professeur Wirlkich (ils en mourront).
Il semble que Marie-Antoinette soit un modèle proche de l'idéal pour Riyoko Ikeda. D'ailleurs, c'est ce que laisse aussi entendre Karyn Poupee (cf. plus haut)
Conclusion
Le profil des mères est essentiellement celui de femmes conventionnelles, soumises, sans voix au chapitre, et subissant leur destin. Elles ont peu d'amour à donner et elles en reçoivent peu. Ou bien, elles aiment leurs enfants mais elles sont impuissantes. Seule Marie-Antoinette est une mère et une femme forte, aimante et protectrice.